Monday 1 June 2015

Entretiens avec l'artiste Laurent Mulot



Friends in the Mirror(Céline B. La Terreur et Laurent Mulot devant les dindes fumées de chez Schwartz's)
Photographie de Laurent Mulot




Ci-dessous : quelques images de l'exposition Middle of Nowhere de l'artiste Français Laurent Mulot
Programme d'échange avec la Galerie Françoise Besson de Lyon
(Avec la permission de l'artiste)






Grâce à Joyce Yahouda et au commissaire Nicolas Mavrikakis, j'ai eu la chance de faire partie de la sélection d'artistes pour le projet "Faire de sa vie une oeuvre d'art", à l'hiver 2015, à la Galerie Françoise Besson de Lyon. Ce projet initiait le début d'échanges entre la Galerie Joyce Yahouda et la Galerie Françoise Besson.  C'est au tour de Joyce Yahouda d'accueillir l'oeuvre d'un artiste Français au travail humain et sensible, Laurent Mulot.

Je ne ferai pas ici un résumé des idées véhiculées par le travail de Laurent.  Mieux vaut aller voir l'exposition en personne afin d'en tirer ses propres impressions et conclusions.

Par contre, j'ai eu la chance de m'entretenir avec lui samedi dernier et je partage ici ses réponses, avec son accord, bien entendu.

Céline : "...parce que, la dernière fois qu'on s'était parlé, tu m'avais expliqué que tu travaillais beaucoup sur la relation entre les êtres humains, et ta conclusion était vraiment merveilleuse.  C'est-à-dire que suite à tout ce travail que tu as entrepris sur les relations entre les être humains, tu en étais venu à conclure que nous, les humains, dans nos contacts avec les autres, sommes à la recherche de la poésie.

Laurent : Tout à fait.  Je te disais ça parce que, souvent on m'interroge sur ces gens, avec lesquels j'ai travaillé, notamment, les gardiens des centres d'art contemporain "fantômes" - qui sont des gens qui sont en dehors du champ de l'art, ils ne sont pas du tout au courant, ni même intéressés par l'art actuel... On m'interroge souvent sur la manière dont j'arrive à les faire entrer dans le projet : comment est-ce possible, que ces gens qui n'ont aucun lien avec l'art, entrent dans ce type de démarche en lien avec l'art conceptuel et l'art relationnel ? 

Ce que j'ai pu constater, à chaque fois, tout au long de mon travail, c'est que les gens souhaitent entrer dans une démarche poétique.  C'est quelque chose qui les motive très vite parce qu'ils reconnaissent très vite de quoi il s'agit.  Ils sont souvent fatigués par leur quotidien, voire même, pour certains, inintéressés par ce qu'ils font, et ils sentent bien que la vie est une occasion de faire autre chose.  Que la vie est une occasion de s'ouvrir à autre chose.  Et c'est dans cette ouverture-là et ce geste dans lequel ils m'accompagnent - et quelque fois, dans ce travail, qui, de leur point de vue, pourrait être considéré comme inutile, justement - c'est là qu'ils arrivent à dégager quelque chose d'essentiel pour eux.

Une des dimensions de l'art est cette dimension de rencontre.  

On peut considérer l'art comme un "supplément" au quotidien, un questionnement face aux stéréotypes, car toutes les sociétés sont habituées à fonctionner selon des stéréotypes. Nous sommes guidés par un certain nombre de normes, de contraintes, pour pouvoir vivre ensemble.  Les gens avec qui je travaille sont donc très friands de se dégager de tout ça, pour produire quelque chose qui n'a rien à voir avec leurs pratiques habituelles mais qui est complètement ancré dans leur relation au territoire ou leur relation avec les autres. Tous, ont sur leur territoire, une attache très forte. Même - c'est d'ailleurs assez étonnant - sur des territoires qui sont assez difficiles à vivre - très, très difficiles, même, quasiment, invivables.  Comment s'attacher à l'Antartique ? Il n'y a que les manchots qui peuvent vivre en Antartique, nous ne sommes pas faits pour vivre là-bas... Pourtant, les gens y ont pris racine.  C'est vraiment un mystère...comment on arrive à prendre racine, n'importe où...  C'est pour cette raison que je n'ai aucun souci pour Mars ! On y arrivera ! 

Céline : Dis-moi, pouquoi est-ce que tu t'attaches à ce métier, je veux dire, faire de l'art, qui est somme toute, un choix plutôt difficile ?

Laurent : C'est difficile, mais, la question est plutôt : à quoi tu t'occuppes ? Donc la question que je me pose est : à quoi j'occuppe mon quotidien, à quoi j'occuppe mon existence ? Qu'est-ce que je fais, ici ? La réponse, la direction, l'orientation, en quelque sorte, m'est apparue évidente au contact des oeuvres d'art et des artistes.  Quand j'étais enfant puis adolescent, j'ai rencontré des artistes et des oeuvres et je me suis dit : ces gens-là vivent ça, et vivent de ça, même.  J'ai trouvé que c'était une occupation essentielle, c'est-à-dire, qui avait un sens. C'était une possibilité de trouver du sens.  S'intéresser à l'invisible. Essayer de rendre visible des choses invisibles. S'intéresser au mystère.  S'attarder à la lumière, à l'absence, à la présence.  Essayer de mettre, de visualiser - puisque c'est de l'art visuel - des éléments qui sont évanescents, qui sont de l'ordre de la disparition.  Tout ça m'a passionné chez les artistes. 

Surtout, je voyais que les artistes avaient la possibilité de remettre en question, en permanence, les représentations.  Je veux dire : on me dit que les choses se présentent "comme ça"... Eh bien moi, de ma petite personne, pourquoi ne pourrais-je pas les voir différemment ? Les décaler légèrement, changer de point de vue...voir autrement. Pour partager ça avec les autres.  Voir la vie autrement que de la manière dont elle nous est assénée, par les médias, par la consommation, par ces choses avec lesquelles on passe, souvent, le plus gros de son existence. Comme aller au supermarché, faire des tas de conneries, qui sont, utiles en quelque sorte, mais bon, on passe notre temps à faire bien des choses complètement inutiles... On occuppe sa vie, malheureusement, très facilement, je crois, à faire n'importe quoi.

Donc l'art c'est une possibilité de s'occupper... je ne dirais pas intelligemment, mais...poétiquement.

Céline : Que veux-tu dire par poésie, exactement ?

Laurent : La poésie...  C'est ce choix de dire que la terre est orange et non pas bleue...la capacité de jouer avec la langue et sa philologie, le sens... La capacité à créer des mondes. Ça peut passer par l'écriture, ça peut passer par l'image... La poésie est d'apprendre quelque chose sur ce qui se présente à nous. Une image doit révéler autre chose que ce qu'on a l'habitude de voir.  C'est ce qui m'intéresse.  Une image (ou un geste) qui creuse quelque chose, qui creuse la pensée, toujours...qui va plus loin, qui va...au-delà.

*******

Il me dit encore, dans un courriel : " ...l’art et la vie sont intimement liés, et tu as sans doute l’occasion de les faire se joindre plus étroitement malgré les difficultés, obstacles… La vie n’est pas la vie que l’on nous vend, elle est ailleurs, elle est à découvrir comme un territoire inconnu. «  L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art » disait Filliou, le carburant c’est l’authenticité, ne jamais l’oublier! "

Merci Laurent, et à bientôt !



Avec Joyce et Laurent à la galerie (avec mon formidable tatouage temporaire de la Reine des Neiges)



L'exposition de Laurent Mulot est toujours en cours à la Galerie Joyce Yahouda, jusqu'au 20 juin 2015.
joyceyahoudagallery.com



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